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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/87

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Tout à coup le bruit se répand que des hommes portant de sinistres nouvelles ont été arrêtés et conduits dans la cour de la mairie ; ils disent, assure-t-on, que nous avons perdu une bataille décisive, que l’armée française est anéantie, et que les Anglais, les Prussiens et tes Hollandais marchent sur Paris.

Tout le monde se précipite vers la mairie, moi des premiers, bien entendu.

En effet, dix ou douze hommes, les uns encore en selle, les autres à terre et près de leurs chevaux, sont entourés par la population, qui les garde à vue ; ils sont tout sanglants, tout couverts de boue, en lambeaux.

Ils se disent Polonais.

À peine si l’on peut comprendre ce qu’ils disent ; ils prononcent avec difficulté quelques mots de français.

Les uns prétendent que ce sont des espions ; les autres que ce sont des prisonniers allemands qui se seront échappés, et qui essayent de rejoindre l’armée de Blücher en se faisant passer pour Polonais.

Arrive un ancien officier qui parle allemand et les interroge en allemand.

Plus à leur aise dans cette langue, ils répondent plus catégoriquement : selon eux, Napoléon en serait venu aux mains, le 18, avec les Anglais. À midi, la bataille aurait commencé ; à cinq heures, les Anglais étaient battus ; mais, à six heures, Blücher, qui avait marché au canon, serait arrivé avec quarante mille hommes et aurait décidé la bataille en faveur de l’ennemi ; bataille décisive, comme ils disent : l’armée française est non pas en retraite, mais en déroute ; ils sont l’avant-garde des fugitifs.

On ne veut pas croire à de si désastreuses nouvelles ; ils se contentent de répondre :

— Vous verrez bien.

On les menace de les arrêter, de les mettre en prison, de les fusiller s’ils ont menti. Ils tendent leurs armes et déclarent qu’ils sont à la disposition des autorités de la ville.

Deux d’entre eux, gravement blessés, sont conduits à l’hô