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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/109

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

monsieur l’abbé ; l’habitude leur fait perdre, non-seulement de leur grandeur, mais encore de leur efficacité. Qui vous dit qu’un jour, je n’aurai pas besoin de l’Église pour quelque grande consolation, comme on a besoin d’une saignée pour quelque grande maladie ?

— Tu as une manière d’arranger les choses, toi…

— Eh ! monsieur l’abbé, vous l’avez dit vous-même, plus d’une fois : il faut traiter les hommes encore moins selon les maladies que selon les tempéraments. Moi, je suis l’impressionnabilité en personne. J’ai le caractère prime-sautier, c’est vous qui l’avez dit. Je ferai toute sorte de fautes, toute sorte de folies, jamais une action mauvaise ni honteuse. Non pas que je sois meilleur qu’un autre, mon Dieu ! mais parce que les actions mauvaises et honteuses sont le résultat de la réflexion et du calcul, et que, quand j’agis, c’est sous l’inspiration du moment ; et cette inspiration est si rapide, que l’action qui en ressort est faite avant que j’aie eu le temps de réfléchir à ses suites, ou de calculer ses résultats.

— Il y a du vrai dans ce que tu dis là ; mais comment, alors, veux-tu qu’on donne des conseils à un caractère de la trempe du tien ?

— Aussi, je ne viens pas vous demander des conseils, cher abbé ; je viens vous demander des prières.

— Des prières ?… Tu n’y crois pas !

— Ah ! pardon, cela, c’est autre chose… Non, je n’y crois pas toujours, c’est vrai ; mais, soyez tranquille, le jour où j’aurai besoin d’y croire, j’y croirai. Eh ! mon Dieu, lorsque j’ai communié, est-ce que je n’avais pas lu, dans Voltaire, que c’était un singulier Dieu que celui qui demande à être digéré ? et dans Pigault-Lebrun, que l’hostie était un pain à cacheter d’une grandeur double du pain à cacheter ordinaire, voilà tout ? En bien, cela a-t-il empêché que, lorsque l’hostie a touché mes lèvres, je ne me sois senti pris d’un frissonnement qui a secoué tout mon corps ? cela a-t-il empêché que les larmes n’aient jailli de mes yeux, larmes d’humilité, larmes de reconnaissance, larmes d’amour surtout ? Croyez-vous que Dieu n’aime pas autant un cœur prodigue qui se répand tout entier