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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/110

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

devant lui, quand il est trop plein, qu’un cœur avare qui ne se livre que goutte à goutte ? croyez-vous que la prière soit dans les mots de la bouche, ou dans les élans de l’âme ? croyez-vous que Dieu se fâche de ce que je l’oublie dans les jours ordinaires de la vie, comme on oublie les battements de son cœur, si, à toute douleur et à toute joie, je reviens à Dieu ? Non, monsieur l’abbé, non ; j’ai la confiance que Dieu m’aime, au contraire, et voilà pourquoi je l’oublie, comme on oublie un bon père qu’on est toujours sûr de retrouver.

— Aussi, me répondit l’abbé, peu m’importe que tu oublies Dieu ; mais ce que je ne veux pas, c’est que tu en doutes.

— Oh ! quant à cela, soyez tranquille ; ce n’est pas un chasseur qui a passé des nuits entières dans les bois éclairés par la lune, qui a étudié la nature, depuis l’éléphant jusqu’au ciron, qui a vu se coucher et se lever le soleil, qui a entendu le chant des oiseaux, plaintes le soir, hymne le matin, ce n’est pas cet homme-là qui doutera jamais de Dieu !

— Alors, tout va bien… Maintenant, tu sais, il y a une maxime dans l’Évangile qui n’est pas longue et qui est facile à retenir ; fais-en la base de tes actions, et tu ne craindras pas de faillir ; cette maxime, qui devrait être gravée en lettres d’or sur les portes de toutes les villes, sur les portes de toutes les maisons, sur les portes de tous les cœurs, c’est : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. Et quand les philosophes, les ergoteurs, les libertins te diront : « Il y a dans Confucius, une maxime qui vaut mieux que celle-là, c’est : Fais aux autres ce que tu voudrais qu’on te fît ; » réponds : « Non, elle ne vaut pas mieux ! car elle est fausse dans son application ; car on ne peut pas toujours faire ce que l’on voudrait qu’on vous fît, tandis qu’on peut toujours s’abstenir de faire ce que l’on ne voudrait pas qui vous fût fait. » Allons, embrasse-moi, et restons-en là-dessus… Nous ne dirions rien qui vaille mieux.

Et sur ces paroles, nous nous embrassâmes en effet, et je le quittai.

Le surlendemain, après avoir fait ma dernière visite au cimetière, — pieux pèlerinage que ma mère accomplissait pres-