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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/112

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

départ, grâce aux rêves éveillés que j’avais faits dans la diligence, j’arrivais éreinté.

Je recommandai au garçon de me réveiller à neuf heures, si, à neuf heures, je n’avais pas donné signe d’existence.

Je connaissais mon Adolphe maintenant, et je savais que je n’avais pas besoin de me presser pour le rencontrer chez lui.

Mais, lorsqu’à neuf heures, l’hôte en personne entra dans ma chambre, il me trouva tout levé ; le sommeil ne voulait pas de moi.

C’était un dimanche matin. Sous les Bourbons, Paris était fort triste le dimanche. Des ordonnances très-sévères commandaient la fermeture des magasins, et c’était non-seulement un crime de lèse-religion, mais encore un crime de lèse-majesté, que de contrevenir à ces ordonnances.

Je risquais donc presque autant d’être arrêté à Paris, à neuf heures du matin, que j’avais risqué de l’être passé minuit.

Je lus content de moi. Grâce à mon instinct de chasseur, je trouvai la rue du Mont-Blanc ; puis la rue Pigalle ; puis, enfin, dans la rue Pigalle, le numéro 14.

M. de Leuven se promenait, comme d’habitude, dans le jardin. C’était au commencement de mai ; il s’amusait à donner à manger un morceau de sucre à une rose.

Il se retourna.

— Ah ! c’est vous, me dit-il ; pourquoi a-t-on été si longtemps sans vous voir ?

— Mais parce que je suis retourné à Villers-Cotterets.

— Et vous voilà revenu ?

— Vous le voyez. Je viens tenter une dernière fois la fortune… Cette fois, il faut absolument que je vous reste.

— Ah ! quant à cela, vous serez toujours libre de nous rester, mon cher. Nous sommes ici, sauf la communauté des femmes et la présence des poëtes, une espèce de république de Platon : une bouche de plus ou de moins dans notre république, il n’y paraît point. Il y a bien encore là-haut quelque mansarde vacante ; ce sera une affaire entre vous et les rats ; mais je vous crois capable de vous défendre. Allez arranger cela avec Adolphe, allez.