Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

plus belle écriture, je minutai une pétition ayant pour but de demander une audience au ministre de la guerre.

Je détaillais tous mes droits à cette faveur ; je les appuyais du nom de mon père, que le maréchal ne pouvait avoir oublié ; j’en appelais à l’ancienne amitié qui les avait unis, tout en passant sous silence le service rendu, dont la lettre du maréchal, alors chef d’escadron ou colonel, faisait foi.

Puis, tranquille sur ma destinée, je revins à la littérature.

Adolphe me fit cette observation pleine de sens que, si sûr que je fusse de la protection du maréchal Victor, je ne ferais pas mal de jeter d’avance ma ligne ailleurs, dans le cas peu probable, mais, enfin, dans le cas possible d’une déception.

Je répondis à Adolphe qu’à défaut du maréchal Victor, il me restait le maréchal Jourdan et le maréchal Sébastiani.

Quant à ceux-là, il était impossible qu’ils ne fissent pas tout pour moi. J’avais trois ou quatre lettres de Jourdan à mon père qui indiquaient une amitié à la Pythias et Damon. Quant au maréchal Sébastiani, je n’avais qu’une lettre de lui ; mais cette lettre prouvait que, brouillé avec Bonaparte au moment de la campagne d’Égypte, c’était mon père, alors admirablement bien avec le général en chef, qui avait obtenu qu’il fît partie de l’expédition. Que diable ! de pareils services ne s’oublient pas !

J’étais, comme on le voit, bien simple, bien provincial et bien naïf, à cette époque-là. J’ai tort de dire à cette époque-là ; hélas ! je le suis encore autant aujourd’hui, peut-être davantage.

Cependant le doute d’Adolphe m’ébranla. Je me décidai à ne pas attendre la réponse du duc de Bellune pour voir mes autres protecteurs, et j’annonçai à Adolphe que j’allais faire l’acquisition d’un Almanach des 25,000 adresses, afin de savoir où ils demeuraient.

— Ne faites pas cette dépense, me dit Adolphe ; je crois qu’il y en a un chez mon père ; je vous le prêterai.

La façon dont Adolphe prononça ces mots : « Ne faites pas cette dépense, » m’irrita.

Il était clair comme le jour qu’il craignait qu’en achetant le susdit almanach, je ne fisse une dépense inutile.