C’était la première fois qu’on me mettait ainsi face à face avec mon ignorance.
— Non, général, répondis-je en balbutiant, je ne sais rien de tout cela.
— Vous avez fait votre droit, au moins ?
— Non, général.
— Vous savez le latin, le grec ?
— Le latin, un peu ; le grec, pas du tout.
— Parlez-vous quelque langue vivante ?
— L’italien.
— Vous entendez-vous en comptabilité ?
— Pas le moins du monde.
J’étais au supplice, et lui-même souffrait visiblement pour moi.
— Oh ! général, m’écriai-je avec un accent qui parut l’impressionner beaucoup, mon éducation est complètement manquée, et, chose honteuse ! c’est d’aujourd’hui, c’est de ce moment que je m’en aperçois… Oh ! mais je la referai, je vous en donne ma parole, et, un jour, un jour, je répondrai : « Oui, » à toutes les questions auxquelles je viens de répondre : « Non. »
— Mais, en attendant, mon ami, avez-vous de quoi vivre ?
— Rien ! rien ! rien, général ! répondis-je écrasé par le sentiment de mon impuissance.
Le général me regarda avec une profonde commisération.
— Et cependant, dit-il, je ne veux pas vous abandonner…
— Non, général, car vous ne m’abandonneriez pas seul ! Je suis un ignorant, un paresseux, c’est vrai ; mais ma mère, qui compte sur moi, ma mère, à qui j’ai promis que je trouverais une place, ma mère ne doit pas être punie de mon ignorance et de ma paresse.
— Donnez-moi votre adresse, dit le général, je réfléchirai à ce qu’on peut faire de vous… Tenez, là, à ce bureau.
Il me tendit la plume dont il venait de se servir.
Je la pris ; je la regardai, toute mouillée qu’elle était encore ; puis, secouant la tête, je la lui rendis.
— Eh bien ?…