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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/129

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Non, lui dis-je, général, je n’écrirai pas avec votre plume ; ce serait une profanation.

Il sourit.

— Que vous êtes enfant ! dit-il. Tenez, en voilà une neuve.

— Merci.

J’écrivis. Le général me regardait faire.

À peine eus-je écrit mon nom, qu’il frappa dans ses deux mains.

— Nous sommes sauvés ! dit-il.

— Pourquoi cela ?

— Vous avez une belle écriture.

Je laissai tomber ma tête sur ma poitrine ; je n’avais plus la force de porter ma honte.

Une belle écriture, voilà tout ce que j’avais !

Ce brevet d’incapacité, oh ! il était bien à moi !

— Une belle écriture ! je pouvais donc arriver un jour à être expéditionnaire. C’était mon avenir ! Je me serais volontiers fait couper le bras droit.

Le général Foy continua, sans trop s’occuper de ce qui se passait en moi :

— Écoutez, me dit-il, je dîne aujourd’hui au Palais-Royal ; je parlerai de vous au duc d’Orléans ; je lui dirai qu’il faut qu’il vous prenne dans ses bureaux, vous fils d’un général républicain. Mettez-vous là…

Il m’indiqua un bureau libre.

— Faites une pétition, et écrivez-la du mieux que vous pourrez.

J’obéis.

Lorsque j’eus fini, le général Foy prit ma pétition, la lut, traça quelques lignes en marge. Son écriture jurait près de la mienne, et m’humiliait cruellement !

Puis il plia la pétition, la mit dans sa poche, et, me tendant la main en signe d’adieu, il m’invita à revenir le lendemain déjeuner avec lui.

Je rentrai à l’hôtel de la rue des Vieux-Augustins, et j’y trouvai une lettre timbrée du ministère de la guerre.