Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je ne voyais rien du tout.

— Prise d’avance, alors ? demandai-je.

— Prise depuis midi.

— Et bonne ?…

— Comment cela, bonne ?

C’était l’amateur, qui ne comprenait plus.

— Oui, repris-je, je serai bien placé ?

— Vous serez placé où vous voudrez.

— Comment, je serai placé où je voudrai ?

— Sans doute.

— Et combien votre place ?

— Vingt sous.

Je réfléchis, à part moi, que vingt sous pour aller où je voudrais, cela n’était pas cher.

Je tirai vingt sous de ma poche et les donnai à mon amateur, lequel aussitôt, avec une agilité qui prouvait combien cet exercice lui était habituel, grimpa le long des barreaux de la barrière, l’enjamba, et se trouva près de moi.

— Eh bien, lui demandai-je, votre place ?

— Prenez-la… seulement, prenez-la vite, car, si on pousse, vous ne l’aurez plus.

Il se fît, à l’instant même, ce raisonnement dans mon esprit : « Ces messieurs, qui sont dans cette barrière, ont sans doute pris et payé leurs places d’avance, et c’est pour les reconnaître qu’on les a parqués ainsi. »

— Ah ! bon, je comprends, répondis-je.

Et j’enjambai la barrière à mon tour, en sens inverse ; de sorte que, tout au contraire de mon marchand de places, qui du dedans avait passé au dehors, je passai, moi, du dehors au dedans.

Au bout d’un instant, un mouvement de progression se fit sentir.

On venait d’ouvrir les bureaux.

Je me laissai aller au courant.

Dix minutes après, je me trouvais devant la grille.

— Eh bien, monsieur, me dit mon voisin, ne prenez-vous point votre billet ?