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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/155

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vir et de ses successeurs, libraires à Amsterdam. Mais savez-vous ce que c’est qu’un bibliomane ?

— Monsieur, je ne sais pas le grec.

— Vous savez que vous ne savez pas, c’est déjà beaucoup. Le bibliomane (racine : ϐιϐλιον, livre, μανια manie) est une variété de l’espèce homme, species bipes, et genus homo.

— Je comprends.

— Cet animal, à deux pieds et sans plumes, erre ordinairement le long des quais et des boulevards, s’arrêtant à tous les étalages de bouquiniste, touchant à tous les livres ; il est habituellement vêtu d’un habit trop long et d’un pantalon trop court ; il porte toujours aux pieds des souliers éculés, sur la tête un chapeau crasseux, et, sous son habit et sur son pantalon, un gilet attaché avec des ficelles. Un des signes auxquels on peut le reconnaître, c’est qu’il ne se lave jamais les mains.

— Savez-vous que c’est un fort vilain animal que celui dont vous me parlez là ? J’espère que la race n’est pas absolue, et qu’elle a des exceptions.

— Oui, mais ces exceptions sont rares. Eh bien, ce que cherche plus particulièrement cet animal devant les boutiques de bouquiniste, — vous savez que tout animal cherche quelque chose, — eh bien, ce sont des Elzévirs.

— Est-ce difficile à trouver ?

— De jour en jour plus difficile, oui.

— Et à quoi reconnaît-on les Elzévirs ?… Remarquez bien, monsieur, que vous ne risquez rien à me donner des renseignements ; je ne crois pas que je devienne jamais bibliomane, et les questions que je vous fais sont des questions de simple curiosité.

— À quoi on les reconnaît ? Je vais vous le dire. D’abord, monsieur, le premier volume auquel on trouve le nom d’Elzévir ou d’Elzévier est un volume intitulé : Eutropii historiæ romanæ, lib. X, Lugduni Batavorum, apud Ludovicum Elzevierum, 1572, in-8o, 2 feuillets, 169 pages. La figure qui sert d’insigne au frontispice, — souvenez-vous bien de cela, c’est la clef de la science, — la figure qui sert d’insigne au frontis-