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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/158

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Ah ! ah ! qui va être penaud, bien penaud ? C’est mon ami Bérard !

— Mais, monsieur, hasardai-je timidement, ne m’avez-vous pas fait l’honneur de me dire que, depuis trois ans, vous disputiez sur ce petit volume ?

— Oh ! oui ! plus de trois ans même !

— Il me semble, à moins que la discussion ne vous amusât, qu’il y avait un moyen bien simple de la faire cesser.

— Lequel ?

— Un philosophe de l’antiquité ne démontrait-il pas l’incontestabilité du mouvement, à un autre philosophe qui niait le mouvement, en marchant devant lui ?

— Eh bien ?

— Eh bien, il fallait prouver à M. Bérard la supériorité de votre science sur la sienne, en lui montrant l’Elzévir que vous tenez, et, à moins d’être plus incrédule que saint Thomas…

— Mais, pour le montrer, monsieur, il fallait l’avoir, et je ne l’avais pas.

— Ce petit volume est donc fort rare ?

— C’est le plus rare de tous ! il n’en reste peut-être pas dix exemplaires en Europe !

— Et pourquoi celui-ci est-il particulièrement plus rare que les autres ? Est-ce qu’il a été tiré à un moindre nombre d’exemplaires ?

— Au contraire, Techener prétend qu’il a été tiré à cinq mille cinq cents, et, moi, je prétends qu’il a été tiré à plus de dix mille.

— Diable ! l’édition a donc été brûlée avec la bibliothèque d’Alexandrie ?

— Non ; mais elle a été perdue, égarée, galvaudée dans les cuisines. Vous comprenez parfaitement que les cuisiniers et les cuisinières sont de médiocres bibliomanes ; ils ont traité le Pastissier françois, comme ils eussent traité Carême ou le Cuisinier royal ; de là, la rareté du livre.

— Si rare, que, disiez-vous, vous ne l’avez trouvé que ce soir ?