— Oh ! je le connaissais depuis plus de six semaines. J’avais dit à Frank de me le garder, attendu que je n’étais pas assez riche pour l’acheter.
— Comment ! vous n’étiez pas assez riche pour l’acheter, pas assez riche pour acheter ce petit bouquin ?
Le bibliomane sourit dédaigneusement.
— Savez-vous, monsieur, me dit-il, combien vaut un exemplaire du Pastissier françois ?
— Mais il me semble qu’en l’estimant un petit écu.
— Un exemplaire du Pastissier françois, monsieur ; vaut, de deux cents à quatre cents francs.
— De deux cents à quatre cents francs ?
— Mais oui… Il y a huit jours, le vieux Brunet, l’auteur du Manuel des libraires, un elzéviriomane enragé, a fait mettre dans les journaux qu’il payerait trois cents francs un exemplaire comme celui-ci. Heureusement, Frank n’a pas lu la note.
— Pardon, monsieur ! mais, je vous en ai prévenu, je suis un ignare… vous avez dit qu’un livre comme celui-ci valait de deux cents à quatre cents francs.
— De deux cents à quatre cents francs, oui.
— D’où vient cette différence dans le prix ?
— Des marges.
— Ah ! des marges !
— Toute la valeur d’un Elzévir résulte de la largeur de ses marges : plus la marge est large, plus l’Elzévir est cher. Un Elzévir non margé n’a pas de prix ; on mesure les marges au compas, et, selon qu’elles ont douze lignes, quinze lignes, dix-huit lignes, l’Elzévir vaut deux cents, trois cents, quatre cents francs, et même six cents francs.
— Six cents francs !… Je suis de l’avis de madame Méchin.
— Et quel est l’avis de madame Méchin ?
— Madame Méchin est une femme de beaucoup d’esprit.
— Oui, je sais cela.
— Son mari était préfet du département de l’Aisne.
— Je sais encore cela.
— Eh bien, un jour qu’elle visitait Soissons avec son mari,