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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

matin. J’allai droit à mon microscope. Hélas ! pendant la nuit, le sable avait séché, et mon pauvre rotifer, qui, sans doute, avait besoin d’humidité pour vivre, était mort. Son imperceptible cadavre était étendu sur le flanc gauche ; ses roues étaient immobiles, le bateau à vapeur n’allait plus, le vélocifère était arrêté.

— Ah ! pauvre rotifer ! m’écriai-je.

— Attendez ! attendez !

— Ah çà ! est-ce que, comme lord Ruthwen, il n’était pas mort ? est-ce que, comme lord Ruthwen, il était vampire ?

— Vous allez voir ! Tout mort qu’il était, l’animal n’en restait pas moins une curieuse variété des éphémères, et son cadavre méritait d’être conservé, aussi bien que celui d’un mammouth ou d’un mastodonte. Seulement ; vous sentez qu’il fallait prendre des précautions bien autrement grandes pour manier un animal cent fois plus petit qu’un ciron, qu’il n’en faut prendre pour changer de place un animal dix fois gros comme un éléphant ! Je choisis, parmi toutes mes boîtes, une petite boite de carton ; je la destinai à être la tombe de mon rotifer, et je transportai, à l’aide de la barbe d’une plume, ma pincée de sable de la cage de mon microscope dans ma boîte. Je comptais faire voir ce cadavre-là à Geoffroy Saint-Hilaire ou à Cuvier ; mais l’occasion me manqua. Je ne rencontrai point ces messieurs, ou, si je les rencontrai, ils se refusèrent à monter mes six étages ; tant il y a que, pendant trois mois, six mois, un an, peut-être, j’oubliai le cadavre du pauvre rotifer. Un jour, par hasard, la boîte me tomba sous la main ; alors, je voulus voir quel changement un an pouvait produire sur le cadavre d’un éphémère. Le temps était couvert, il tombait une grosse pluie d’orage. Afin d’y mieux voir, j’approchai le microscope de la fenêtre, et je vidai dans la cage le contenu de la petite boîte. Le cadavre du pauvre rotifer était toujours immobile et couché sur le sable ; seulement, le temps, qui se souvient si cruellement des colosses, semblait avoir oublié l’infiniment petit. Je regardais mon éphémère avec un sentiment de curiosité facile à comprendre, quand tout à coup une goutte de pluie chassée par le