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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/172

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vent tombe dans la cage du microscope, et humecte ma pincée de sable.

— Eh bien ? demandai-je.

— Eh bien, voilà où est le miracle. Au contact de cette fraîcheur vivifiante, il me sembla que mon rotifer se ranimait, qu’il remuait une antenne, puis l’autre ; qu’il faisait tourner une de ses roues, puis ses deux roues ; qu’il reprenait son centre de gravité, que ses mouvements se régularisaient, qu’il vivait enfin !

— Bah !

— Monsieur, le miracle de la résurrection, auquel vous croyez peut-être, vous, mais auquel ne croyait point Voltaire, venait de s’accomplir, non pas au bout de trois jours… trois jours, beau miracle !… mais au bout d’un an !… Dix fois je renouvelai la même épreuve : dix fois le sable sécha, dix fois le rotifer mourut ! dix fois le sable fut humecté, et dix fois le rotifer ressuscita ! Ce n’était pas un éphémère que j’avais trouvé, monsieur, c’était un immortel ! Mon rotifer avait probablement vécu avant le déluge, et devait survivre au jugement dernier.

— Et vous possédez toujours ce merveilleux animal ?

— Ah ! monsieur, me dit mon voisin avec un profond soupir, je n’ai pas ce bonheur. Un jour que, pour la vingtième fois peut-être, je m’apprêtais à renouveler mon expérience, un coup de vent emporta le sable séché, et, avec le sable séché, mon phénoménal immortel. Hélas ! depuis, j’ai repris bien des pincées de sable mouillé sur ma gouttière, et même ailleurs, mais toujours inutilement ; jamais je n’ai retrouvé l’équivalent de ce que j’avais perdu. Mon rotifer était, non-seulement immortel, mais encore unique… Voulez-vous me laisser passer, monsieur ? Le deuxième acte va commencer, et je trouve ce mélodrame si mauvais, que je voudrais bien m’en aller.

— Oh ! monsieur, lui dis-je, je vous en supplie, ne vous en allez pas ; j’ai encore tant de choses à vous demander, et vous me paraissez si savant !… Vous n’écouterez pas, si vous voulez ; vous lirez le Pastissier françois, et, dans les entr’ac-