Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

à boire et à manger ?… — Oui, il m’a dit : « Voici deux fois que je viens manger chez toi. C’est à ton tour maintenant de venir manger chez moi. » — Diable !… — Je l’attends après-demain à la même heure. — Diable ! diable ! — Eh ! oui, justement, voilà ce qui me tracasse. » Le surlendemain, on le trouva mort dans son lit ! Ce même jour, deux ou trois autres personnes du même village qui avaient vu aussi le vieillard, et qui lui avaient parlé, tombèrent malades et moururent à leur tour. Il fut donc reconnu que le vieillard était vampire. On s’informa auprès de moi ; je racontai ce que j’avais vu et entendu. La justice se transporta au cimetière. On ouvrit les tombeaux de tous ceux qui étaient morts depuis six semaines ; tous ces cadavres étaient en décomposition. Mais, quand on en vint au tombeau de Kisilova, — c’était le nom du vieillard, — on le trouva les yeux ouverts, la bouche vermeille, respirant à pleins poumons, et cependant immobile, comme mort. On lui enfonça un pieu dans le cœur ; il jeta un grand cri, et rendit le sang par la bouche ; puis on le mit sur un bûcher, on le réduisit en cendre, et l’on jeta la cendre au vent… Quelque temps après, je quittai le pays ; de sorte que je ne pus savoir si son fils était devenu vampire comme lui.

— Pourquoi serait-il devenu vampire comme lui ? demandai-je.

— Ah ! parce que c’est l’habitude, que les personnes qui meurent du vampirisme deviennent vampires.

— En vérité, vous dites cela comme si c’était un fait avéré.

— Mais c’est qu’aussi c’est un fait avéré, connu, enregistré ! En doutez-vous ?… Lisez le Traité des apparitions, de dom Calmet, t. II, pages 41 et suivantes ; vous trouverez un procès-verbal signé par le hadnagi Barriavar et les anciens heiduques ; de plus, par Battiw ; premier lieutenant du régiment d’Alexandre de Wurtemberg ; par Clercktinger, chirurgien-major du régiment de Fürstenberg ; par trois autres chirurgiens de la compagnie, et par Goltchitz, capitaine à Slottats, constatant qu’en l’an 1730, un mois après la mort d’un certain heiduque, habitant de Medreiga, nommé Arnold-Paul, qui avait