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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/189

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

comme notre siècle est, avant tout, un siècle d’appréciation, il est bon d’apprécier les hommes et les choses.

Mademoiselle Mars et Talma, ces deux grandes gloires artistiques de l’Empire et de la Restauration, vivront encore dans l’esprit du xxe et du xxie siècle, quand on aura depuis longtemps oublié jusqu’aux noms de ces comédiens politiques qu’on appelle des ministres, et qui, du bout de leurs doigts dédaigneux, leur jetaient la subvention que, chaque année, la Chambre accordait comme une aumône à ces sublimes mendiants.

Qui était ministre en Angleterre, l’année où Shakspeare fit Othello ?

Qui était gonfalonier à Florence, l’année où Dante écrivit son poëme de l’Enfer ?

Qui était ministre du roi Hiéron, quand l’auteur de Prométhée vint lui demander un asile ?

Qui était archonte d’Athènes, lorsque le divin Homère mourut dans l’une des Sporades, vers le milieu du xe siècle avant Jésus-Christ ?

Pour savoir cela, il aurait fallu être mon voisin, — mon voisin qui savait tant de choses, qui savait reconnaître les Elzévirs, qui savait où l’on trouve les vampires, qui savait d’où viennent les claqueurs, et qui s’était fait mettre à la porte, pour avoir sifflé la prose de MM***, car il n’y a jamais eu de nom imprimé sur la brochure du Vampire, éditée par Barba, lequel mettait fièrement au-dessous de son nom : Éditeur des Œuvres de Pigault-Lebrun.

Revenons à madame Allan-Dorval, comme on l’appelait à cette époque-là.

Au fur et à mesure que j’avancerai dans ma vie, et que, en avançant, je heurterai du pied, du coude ou du front, quelqu’un, homme ou femme, comédien littéraire, ou comédien politique, ayant eu un nom, je ferai pour ce personnage ce que je vais faire pour la pauvre Marie Dorval.

Lorsqu’elle mourut, j’avais entrepris de lui élever un tombeau, — tombeau littéraire avec des feuilletons, tombeau sépulcral avec des pierres.

Les pierres devaient être payées par les feuilletons, et je