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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/190

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

me plaisais à être l’architecte qui bâtit le double monument.

Malheureusement, c’était au Constitutionnel que j’avais commencé de bâtir le monument littéraire.

Au deuxième feuilleton, je parlais d’Antony et de l’ancien Constitutionnel.

La susceptibilité de M. Véron s’effaroucha ; le monument littéraire en resta à sa première assise.

Et, comme le monument sépulcral ressortait du monument littéraire, le monument sépulcral ne fut jamais commencé.

Un jour, nous reprendrons cette chose-là avec beaucoup d’autres que nous avons été forcé d’interrompre, et nous les achèverons, malgré le mauvais vouloir des hommes, grâce au bon vouloir de Dieu.

L’âge des artistes est toujours une espèce de problème qui ne se résout qu’après leur mort. Je n’ai vraiment su l’âge de Dorval qu’à sa mort.

Elle était née le jour des Rois de l’année 1798 ; — en 1823, quand j’avais vingt ans, elle en avait vingt-cinq.

Elle ne s’appelait pas Marie Dorval, alors : ces deux noms, si doux à prononcer, qu’ils semblent avoir dû toujours être les siens, ces deux noms n’étaient pas encore liés l’un à l’autre par la chaîne d’or du génie.

Elle s’appelait Thomase-Amélie Delaunay ; elle naquit tout à côté du théâtre de Lorient ; ses premiers pas trébuchèrent sur les planches.

Sa mère était artiste ; elle jouait les premières chanteuses. Camille ou le Souterrain était, alors, l’opéra-comique en vogue. La petite fille fut bercée, en scène, avec cette phrase, que sa mère ne pouvait plus chanter que les larmes aux yeux :

Oh ! non, non, il n’est pas possible
D’avoir un plus aimable enfant !

Dès qu’elle put parler, sa bouche balbutia la prose de Panard et de Collé, de Sedaine et de Favart ; à sept ans, elle passa dans ce qu’on appelle l’emploi des Betzy.