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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/200

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

que je ne perdisse le présent que je m’étais fait, et que lui-même avait contribué à me faire.

Tout au contraire des parvenus, et, disons-le, Oudard était plutôt arrivé que parvenu, il parlait souvent, — peut-être est-ce un orgueil, mais j’aime, moi, cet orgueil-là ! — il parlait souvent du village où il était né, de la chaumière où il avait été élevé, et de sa vieille mère, qui venait le voir, habillée en paysanne, et qu’il promenait ainsi au Palais-Royal, qu’il conduisait ainsi au spectacle. Cette mère, il l’aimait beaucoup : ce sentiment est assez rare chez un ambitieux, pour que je le consigne comme un fait irrécusable.

Oudard devait avoir trente-deux ans, à cette époque ; il était chef du secrétariat, et secrétaire particulier de la duchesse d’Orléans. Ces deux places pouvaient lui valoir une dizaine de mille francs, gratifications comprises.

Il était vêtu d’un pantalon noir, d’un gilet de piqué blanc, d’une cravate et d’un habit noirs.

Il portait des bas de coton très-fins et des souliers. C’était, comme on voit, la tenue, non-seulement d’un chef de bureau, mais encore d’un homme qui, d’un moment à l’autre, peut être appelé près d’un prince ou d’une princesse.

— Venez, monsieur Dumas, me dit-il.

Je m’approchai en saluant.

— Vous m’êtes tout particulièrement, recommandé par deux personnes, l’une que je respecte infiniment, l’autre que j’aime beaucoup.

— Par le général Foy, n’est-ce pas, monsieur ?

— Oui, voilà pour celle que je respecte. Mais comment ne devinez-vous pas quelle est l’autre ?

— J’avoue, monsieur, que je cherche inutilement le nom de la personne à qui j’ai pu inspirer assez d’intérêt pour qu’elle prit la peine de me recommander à vous.

— C’est M. Deviolaine.

— M. Deviolaine ? répétai-je avec un certain étonnement.

— Oui, M. Deviolaine… N’est-ce point votre parent ?

— Si fait, monsieur ; mais, quand ma mère a prié M. Devio-