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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/221

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— De l’airain de Corinthe, toujours ; seulement, il faudra tâcher d’y mettre un petit ingrédient qu’ils n’ont ni l’un ni l’autre.

— Lequel ?

— La passion… Goethe vous donnera la poésie ; Walter Scott l’étude des caractères ; Cooper la mystérieuse grandeur des prairies, des forêts et des océans ; mais, la passion, vous la chercherez inutilement chez eux.

— Ainsi, l’homme qui sera poëte comme Gœthe, qui sera observateur comme Walter Scott, descriptif comme Cooper, et passionné avec cela ?…

— Eh bien, cet homme-là sera à peu près complet.

— Quels sont les trois premiers ouvrages que je dois lire de ces trois maîtres ?

Wilhem Meister, de Goethe ; Ivanhoe, de Walter Scott ; l’Espion, de Cooper.

— J’ai déjà lu, cette nuit, Jean Sbogar.

— Oh ! c’est autre chose.

— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est le roman de genre. Mais ce n’est pas cela qu’attend la France.

Et qu’attend-elle ?

— Elle attend le roman historique.

— Mais l’histoire de France est si ennuyeuse !

Lassagne leva la tête et me regarda.

— Hein ? fit-il.

— L’histoire de France est si ennuyeuse ! répétai-je.

— Comment savez-vous cela ?

Je rougis.

— On me l’a dit.

— Pauvre garçon ! on vous a dit !… Lisez d’abord, et ensuite vous aurez une opinion.

— Que faut-il lire ?

— Ah ! dame ! c’est tout un monde : Joinville, Froissart, Monstrelet, Châtelain, Juvénal des Ursins, Montluc, Saulx-Tavannes, l’Estoile, le cardinal de Retz, Saint-Simon, Villars, madame de la Fayette, Richelieu… Que sais-je, moi ?