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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/228

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Gabrielle était une jolie enfant de quatorze ou quinze ans, d’une blancheur éblouissante ; elle ne comptait encore, dans la maison, que comme un bouton dans un bouquet.

Louis avait nôtre âge, à peu près, c’est-à-dire vingt ou vingt et un ans. C’était un joli garçon, blond, frais, rose, un peu poupin, souriant toujours, plein d’amitié pour sa sœur, de respect pour sa mère, d’admiration pour son père.

Telleville était un beau capitaine, bien brave, bien loyal, bien aventureux, bonapartiste comme toute la famille, jeté dans le monde artiste sans avoir jamais fait un hémistiche ; charmant esprit, du reste, plein de verve et d’originalité.

Lucien, l’auteur de Régulus, et, depuis, de Pierre de Portugal et de Tibère, était un esprit froid et administratif plutôt qu’une âme poétique ; cependant, il y avait, dans ses vers, une certaine hardiesse ; dans sa pensée, une certaine mélancolie, qui parlaient, à la fois, à l’imagination et au cœur. Il a fait, dans Pierre de Portugal, un des vers les plus charmants et les plus vrais que je connaisse, un de ces vers comme Racine en faisait dans ses bons jours, et que tout le monde sait parce qu’ils sont de Racine :

Les chagrins du départ sont pour celui qui reste.

Un an avant mon arrivée à Paris, Régulus avait eu un succès énorme. J’en citerai quelques vers, pour donner une idée de l’auteur, qui a renoncé, à ce qu’il parait, à la littérature.

Régulus va quitter Rome, pour laquelle il se dévoue, et il dit à Licinius :

Je meurs pour la sauver, c’est mourir digne d’elle !
Mais, toi, Licinius, parjure à l’amitié,
Disciple de ma gloire, as-tu donc oublié
Ces jours où j’opposais, dans les champs du carnage,
Ma vieille expérience à ton jeune courage ?
Aimant un vrai soldat dans un vrai citoyen,
Ne te souvient-il plus que, par un doux lien,
Ma tendresse voulait vous unir l’un à l’autre ?