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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/242

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

En attendant, Soulié, — il signait alors Soulié de Lavelanet, — en attendant, Soulié vivait d’une petite rente que lui faisait son père : cent louis, autant que je puis me le rappeler ; il demeurait rue de Provence, à l’entre-sol, dans un appartement plein de coquetterie qui nous paraissait un palais. Il y avait surtout, luxe inouï, dans cet appartement, un piano sur lequel Soulié jouait deux ou trois airs.

Il était à la fois fort libéral et fort aristocrate, deux choses qui, à cette époque, marchaient souvent de compagnie témoin Carrel, que nous avons déjà vu apparaître, à propos de l’affaire de Béfort, et que nous verrons reparaître, lors de l’amnistie accordée par Charles X, à son avènement au trône.

Soulié était brave, sans être querelleur ; seulement, il avait à la fois la susceptibilité de l’étudiant et du Méridional ; il tirait passablement l’épée, et bien le pistolet.

Je fus d’abord pour Soulié, et la chose était toute naturelle, un enfant sans valeur et sans importance. Mes débuts l’étonnèrent, le blessèrent presque. Quand nous en serons là, je montrerai Soulié tel qu’il était : jaloux, presque envieux, mais brisant, par la puissante volonté de son cœur droit et honnête, toutes les mauvaises tendances de son esprit. C’était en lui une lutte continuelle du bon et du mauvais principe, et, cependant, pas une seule fois peut-être le mauvais principe ne l’emporta.

Bien souvent, il essaya de me haïr, sans jamais pouvoir en venir à bout ; bien souvent, il entreprit, en commençant par dire du mal de moi, une conversation qu’il acheva en en disant du bien.

Et, en effet, je fus l’homme qui le gêna le plus dans sa carrière : au théâtre, au journal, en librairie, il me trouva partout sur son chemin, lui faisant partout un tort involontaire mais réel ; et, malgré cela, j’étais si sûr de Soulié, si sûr de son cœur, de sa suprême probité, que, si j’eusse eu un service à demander, c’est à Soulié que j’eusse demandé ce service, à lui, plutôt qu’à tout autre, — et lui, plutôt que tout autre, me l’eût rendu.

Soulié s’était, d’abord, tourné vers la poésie. C’était à la