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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/244

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

thé, des gâteaux, et des sandwichs. C’était un si grand luxe, que j’en fus un peu ébloui.

Soulié sentait ce qu’il renfermait en lui, et cela le rendait fort méprisant pour la littérature secondaire. Tout en essayant de braconner sur leurs terres, en attendant qu’il fît mieux, il traitait du haut de sa grandeur certaines réputations contemporaines dont, moi, j’enviais fort la position. Il se proposait, disait-il, de publier, pour la prochaine année 1824, un almanach intitulé le Parfait Vaudevilliste, où l’on trouverait des couplets de vieux soldats et de jeunes colonels tout faits.

Parmi les couplets de vieux soldats était au premier rang, et comme modèle à suivre, ce couplet, que chantait Gontier dans Michel et Christine, couplet qu’on applaudissait tous les soirs avec acharnement :

Sans murmurer,
Votre douleur amère,
Frapp’rait mes yeux, plutôt tout endurer !
Moi, j’y suis fait, c’est mon sort ordinaire ;
Un vieux soldat sait souffrir et se taire,
Sans murmurer !

Il y avait aussi, à cette époque, dans les pièces en cours de représentation, un certain nombre de chœurs applicables à des circonstances données, et qui devaient trouver leur place dans le Parfait Vaudevilliste. Malheureusement, je ne les copiai point chez Soulié à cette époque. Trois ou quatre mois avant sa mort, je le priai de me communiquer sa collection : il l’avait perdue.

En échange, il m’envoyait cinq ou six de ces chœurs qu’il trouvait dans sa mémoire ; seulement, il ne pouvait me dire précisément de quelle époque ils étaient ; ce qu’il pouvait m’affirmer, c’est qu’ils existaient, non pas, comme on aurait pu le croire à l’état de bâtards ou d’enfants trouvés, mais à l’état de fils légitimes et reconnus ; et, pour preuve, il me les faisait passer avec le nom de leurs pères.

Ces chœurs étaient, bien entendu, la propriété exclusive