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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/253

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

donna un moment de répit ; mais bientôt j’entendis un pas que je devinai être le sien, et la peur me reprit.

La porte s’ouvrit, et le duc d’Orléans parut.

Je l’avais vu déjà, une ou deux fois, à Villers-Cotterets, lorsqu’il y était venu pour la vente des bois. Je crois avoir dit qu’alors il logeait chez M. Collard, où il recevait une hospitalité que celui-ci faisait la plus fastueuse possible, tandis que, de son côté, le duc d’Orléans tentait toujours de la restreindre à une simple visite de famille.

M. le duc d’Orléans avait, au reste, le bon esprit de reconnaître, presque publiquement, ses liens de demi-parenté ; il avait auprès de lui, au Palais-Royal, ses deux oncles naturels, les deux abbés de Saint-Phar et de Saint-Aubin, et il ne faisait aucune différence entre eux et les autres membres de sa famille.

Le prince allait avoir cinquante ans au mois d’octobre suivant : c’était encore un fort bel homme, un peu alourdi par un embonpoint qui, depuis dix ans, allait croissant ; il avait la figure ouverte, l’œil vif et spirituel, sans fixité ni profondeur ; une grande affabilité de paroles qui, cependant, n’allait jamais jusqu’à empêcher l’aristocratie de se faire sentir, à moins qu’il n’eût tout intérêt de caresser quelque bourgeois vaniteux ; la voix agréable, presque toujours bienveillante dans ses moments de bonne humeur ; et, quand il avait envie de causer, on l’entendait venir de loin, chantant la messe d’une voix presque aussi fausse que celle de Louis XV.

Nous lui avons, depuis, entendu chanter la Marseillaise, qu’il ne chantait guère plus juste que la messe.

En deux mots je fus présenté ; on ne faisait pas grande cérémonie avec moi.

— Monseigneur, c’est M. Dumas, dont je vous ai parlé, le protégé du général Foy.

— Ah ! bien, répondit le duc ; j’ai été enchanté de faire quelque chose d’agréable au général Foy, qui vous a vivement recommandé à moi, monsieur. Vous êtes le fils d’un brave que Bonaparte, à ce qu’il parait, a laissé mourir de faim ou à peu près ?