Théophile Gautier fit semblant de ne pas entendre.
Arsène Houssaye renouvela sa demande.
— Ma foi ! non, dit Gautier.
— Pourquoi cela ?
— Parce que je ne sais rien de plus ennuyeux à faire qu’un éloge officiel, fût-ce celui du plus grand poëte du monde. D’ailleurs, plus le poëte est grand, plus l’éloge est difficile.
— Vous avez tort, Théophile, dit Hugo, et, si j’étais en position de faire en ce moment-ci ce qu’Arsène vous demande, je le ferais.
— Vous vous amuseriez à passer en revue les vingt ou trente pièces de Corneille ? Vous auriez le courage de parler de Melite, de Clitandre, de la Galerie du Palais, de Pertharite, d’Œdipe, d’Attila et d’Agésilas ?
— Non, je ne parlerais de rien de tout cela.
— Alors, vous ne feriez pas l’éloge de Corneille ; quand on fait l’éloge d’un poëte, il faut surtout louer ce qu’il a fait de mauvais : ce qu’on ne loue pas, on le critique.
— Non, dit Hugo, je ne prendrais pas la chose ainsi ; je ne ferais pas un éloge vulgaire. Je montrerais le vieux Corneille, errant à pied dans les rues du vieux Paris, avec son manteau râpé sur les épaules, oublié de Louis XIV, moins généreux pour lui que son persécuteur Richelieu, et faisant raccommoder à une pauvre échoppe son soulier troué, tandis que Louis XIV trône à Versailles, se promène avec madame de Montespan, mademoiselle de la Vallière et madame Henriette dans les galeries de Le Brun ou dans les jardins de Le Nôtre ; puis je consolerais l’ombre du poëte en montrant la postérité remettant chacun à sa place, et, au fur et à mesure que les jours s’ajoutent aux jours, les mois aux mois et les années aux années, grandissant le poëte et diminuant le roi…
— Eh bien, que cherchez-vous donc, Théophile ? demanda madame de Girardin à Gautier, qui se levait vivement.
— Je cherche mon chapeau, dit Gautier.
— Girardin dort dessus, dit tranquillement Cabarus.
— Oh ! ne le réveillez pas, dit madame de Girardin, il ferait un article !