Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
282
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Je ne puis pourtant pas m’en aller sans chapeau, dit Gautier.

— Vous vous en allez donc ? demanda Arsène Houssaye.

— Sans doute, je vais faire vos vers ; vous les aurez demain.

On tira le chapeau de Théophile de dessous les épaules de Girardin. Il était un peu passé à l’état de gibus ; mais qu’importait à Théophile l’état de son chapeau ?

Il rentra chez lui, et se mit à l’œuvre.

Le lendemain, comme il avait promis, Arsène Houssaye avait ses vers.

Seulement, poëète et directeur avaient compté sans la censure.

Voici les vers de Théophile Gautier sur le grand Corneille, — vers arrêtés par la censure dramatique, comme je l’ai dit, l’an iii de la deuxième République, M. Louis Bonaparte étant président, M. Léon Faucher étant ministre, M. Guizard étant directeur des beaux-arts :

Par une rue étroite, au cœur du vieux Paris,
Au milieu des passants, du tumulte et des cris,
La tête dans le ciel et le pied dans la fange,
Cheminait à pas lents, une figure étrange.
C’était un grand vieillard sévèrement drapé,
Noble et sainte misère, en son manteau râpé !
Son œil d’aigle, son front, argenté vers les tempes
Rappelaient les fiertés des plus mâles estampes ;
Et l’on eût dit, à voir ce masque souverain,
Une médaille antique à frapper en airain.
Chaque pli de sa joue, austèrement creusée,
Semblait continuer un sillon de pensée,
Et, dans son regard noir, qu’éteint un sombre ennui,
On sentait que l’éclair autrefois avait lui.
Le vieillard s’arrêta dans une pauvre échoppe.

Le roi-soleil, alors, illuminait l’Europe,
Et les peuples baissaient leurs regards éblouis
Devant cet Apollon qui s’appelait Louis.
À le chanter, Boileau passait ses doctes veilles ;