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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/29

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le prétexte était d’autant meilleur que les îles sont fort giboyeuses, et que le général Dermoncourt avait, avec M. Kœchlin, de Mulhouse, loué une partie de ces îles pour la chasse.

On partit avant le jour, avec chiens et fusils. Pendant la nuit, on avait fait prévenir les bateliers : on les trouva donc prêts.

Vers neuf heures du matin, par un brouillard qui empêchait qu’on ne vît à dix pas de distance, on descendit dans les barques, et l’on ordonna aux bateliers de gagner le milieu du fleuve.

On aborda sur une de ces îles.

Seulement, Rusconi et Dermoncourt restèrent dans la barque, tandis que ceux qui n’avaient rien à craindre faisaient semblant de se mettre en chasse.

— Maintenant, mes amis, dit le général aux bateliers, j’ai affaire de l’autre côté du Rhin… Il faut que vous ayez l’obligeance de m’y conduire.

Les bateliers se regardèrent en riant.

— Volontiers, général, dirent-ils.

Un quart d’heure après, Rusconi et Dermoncourt étaient dans le Brisgaw.

En mettant le pied sur les terres du grand duc de Bade, Dermoncourt tira de sa poche une pincée de louis, et la donna aux bateliers.

— Merci, général, dirent les bateliers ; mais, en vérité, il n’y avait pas besoin de cela. On est bon Français, et l’on ne veut pas qu’un brave comme vous soit fusillé.

Ces bateliers savaient les nouvelles de Béfort, et se doutaient bien qu’ils conduisaient, non pas des chasseurs, mais des fugitifs.

Le général se retira à Fribourg, et de Fribourg à Bâle.

Le 5 ou le 6 de janvier, nous lûmes sur les journaux, tous les détails de la conspiration. Le nom de Dermonconrt s’y trouvait dans des conditions si actives, que nous ne doutâmes point que, s’il était arrêté, le compte de sa demi-solde ne fût définitivement réglé.