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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/37

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

là, où j’avais besoin de combattre par une grande fatigue physique les émotions de mon cœur, je me livrai à cet exercice avec une espèce de frénésie.

Une balle, renvoyée par moi à hauteur d’homme, atteignit un des joueurs, et le renversa ; c’était le fils du brigadier de gendarmerie : on le nommait Savard.

Nous courûmes à lui ; par bonheur, la balle avait porté sur le haut de l’épaule, un peu au-dessus du biceps, à l’endroit où la chemise se fronce.

Six pouces plus haut, je l’atteignais à la tempe, et je le tuais roide.

Je jetai ma raquette, et je renonçai à la paume ; jamais je n’y ai joué depuis.

Je revins à la maison, et je cherchai une distraction en travaillant.

Mais j’essayai vainement de me mettre à la besogne ; on travaille avec le cœur et l’esprit combinés : Adolphe avait emporté mon esprit ; Adèle était en train de briser mon cœur.

Le jour du mariage approchait ; ce jour-là, je ne voulus pas rester à Villers-Cotterets. J’arrangeai une partie de pipée avec un vieux camarade à moi, un des compagnons de ma jeunesse, un peu délaissé, depuis que de la Ponce et Adolphe avaient pris place, non-seulement dans mes affections, niais encore dans ma vie.

C’était un bourrelier nommé Arpin.

Dès le soir, nous allâmes préparer notre arbre ; c’était dans un charmant taillis, à un quart de lieue à peu près de ce joli village d’Haramont, dont j’ai tenté, dans Ange Pitou et dans Conscience l’innocent, de faire un lieu célèbre.

Au pied de cet arbre, dont nous taillâmes toutes les branches pour faire entrer nos gluaux, nous construisîmes une hutte en branchages, et nous couvrîmes les branchages de fougères.

Le lendemain, avant le jour, nous étions à notre poste ; le soleil, en se levant, éclaira notre arbre tendu, et trouva la chasse commencée.

Étrange chose ! cette chasse à laquelle, plus jeune, j’avais