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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/38

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

trouvé tant de plaisir, que souvent je passais sans sommeil la nuit qui la précédait, cette chasse n’avait plus la puissance de distraire mon cœur de l’angoisse qui le serrait.

Ô douleur, sublime mystère dans l’accomplissement duquel l’homme s’élève et l’âme grandit ! douleur, sans laquelle il n’y aurait pas de poésie, car la poésie est faite presque toujours d’une part de joie, d’une part d’espérance et de deux parts de douleur ! douleur, qui seule laisses ta trace dans la vie ; sillon mouillé de larmes, où pousse la Prière, c’est-à-dire la mère de ces trois nobles filles, de ces trois sœurs célestes qu’on appelle la Foi, l’Espérance et la Charité ! sois bénie par le poëte, ô douleur !

Nous avions emporté du pain et du vin ; nous avions déjeuné et dîné ; la chasse était abondante, et donnait que c’eût été tout plaisir dans un autre moment. On était arrivé à la fin de la journée, à l’heure où le merle siffle, où le rouge-gorge chante, où les premières ombres descendent avec le silence dans l’intérieur des bois, quand tout à coup je fus tiré de ma rêverie, — si l’on peut appeler rêverie ce chaos informe d’une pensée sur laquelle la lumière n’a pas été faite, — quand je fus tiré de ma rêverie par le son aigu d’un violon, et par de joyeux éclats de rire. Violon et éclats de rire s’approchaient, et je commençai bientôt à entrevoir sous les arbres un ménétrier et une noce venant d’Haramont, et allant à Villers-Cotterets ; tout cela suivait un petit chemin de traverse, et devait passer à vingt pas de moi : jeunes filles à robe blanche, jeunes gens à habit bleu ou noir, avec de gros bouquets et de longs rubans !

Je mis la tête hors de notre hutte, et je poussai un cri.

Cette noce, c’était la noce d’Adèle ! La jeune fille, au voile blanc et au bouquet d’oranger qui marchait la première, donnant le bras à son mari, c’était elle !

Sa tante demeurait à Haramont. Après la messe, on était allé déjeuner chez la tante ; on avait pris, le matin, par la grande route ; on revenait, le soir, par le chemin de traverse.

Ce chemin de traverse, je l’ai dit, aboutissait à vingt pas de notre hutte.