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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Lafarge avec une redingote luisante aux coudes, un pantalon luisant aux genoux.

— Ah çà ! mais je ne me trompe pas, c’est bien vous ? me dit-il.

— C’est parfaitement moi. Asseyez-vous donc là.

— Volontiers. Demandez un second petit verre.

— Pour vous ?

— Oui.

— Prenez le mien, mon cher. Je ne bois jamais d’eau-de-vie.

Pourquoi donc en avoir demandé, alors ?

— Mais parce que je ne voulais pas attendre Adolphe ici sans demander quelque chose.

— Adolphe va venir ?

— Oui. Nous allons ensemble voir Sylla. — Comment ! vous allez voir cette ordure-là ?

— Une ordure, Sylla ? Mais c’est un énorme succès !

— Oui, succès de perruque.

— Succès de perruque ? répétai-je sans comprendre.

— Sans doute ! Otez à Sylla la mèche de Napoléon, et la pièce n’allait pas jusqu’à la fin.

— Mais il me semble cependant que M. de Jouy est un grand poëte.

— Pour la province, c’est possible, mon cher ; mais, ici, nous sommes à Paris, et nous voyons la chose autrement.

— Si ce n’est pas un grand poëte, c’est au moins un homme d’infiniment d’esprit.

— Oui, peut-être avait-il de l’esprit sous l’Empire ; mais, vous comprenez, mon cher, l’esprit de 1809 n’est pas l’esprit de 1822.

— Je croyais cependant que l’Ermite de la Chaussée-d’Antin avait été fait sous la Restauration.

— Oui, certainement ; mais vous vous figurez donc que l’Ermite de la Chaussée-d’Antin était de M. de Jouy ?

— Sans doute, puisque c’est signé de lui.

— Oh ! la belle raison !

— De qui est-ce donc, alors ?

— Pardieu ! c’est de Merle.