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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/57

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Comment, il s’avachit ! Qu’entendez-vous par là ?

— Je veux dire qu’il vieillit, qu’il s’encroûte.

— Ah çà ! mais les journaux disent qu’il n’a jamais été plus jeune de talent, qu’il n’a jamais été plus beau de physionomie.

— Vous croyez donc à ce que disent les journaux ?

— Dame !

— Vous en ferez un jour, mon cher, du journalisme.

— Eh bien, après ?…

— Eh bien, quand vous en ferez, vous verrez comment cela se fait.

— Et ?…

— Et vous ne croirez plus à ce que disent les journaux, voilà tout !

En ce moment, la porte s’ouvrit, et Adolphe passa la tête.

— Vite, vite ! dit-il ; si nous ne nous pressons pas, nous trouverons la toile levée.

— Ah ! c’est vous, enfin !

Je m’élançai vers Adolphe.

— Vous oubliez de payer, me dit Lafarge.

— Ah ! c’est vrai. — Garçon, combien ?

— Un petit verre, quatre sous ; six sous de sucre, dix.

Je tirai dix sous de ma poche, et les jetai sur la table, et puis, allégé de cinquante centimes, je me précipitai hors du café.

— Vous étiez avec Lafarge ? me dit Adolphe.

— Oui… Mais qu’a-t-il donc ?

— Comment, qu’a-t-il ?

— Il m’a dit que M. de Jouy était un crétin, et Talma un Cassandre.

— Pauvre Lafarge ! me dit Adolphe ; il n’avait peut-être pas dîné.

— Pas dîné ! En est-il donc réduit là ?

— À peu près.

— Ah ! dis-je, voilà qui m’explique bien des choses !… MM. de Jouy et Talma dînent tous les jours, et ce malheureux Lafarge ne peut pas leur pardonner cela.