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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/62

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

suivre Talma dans le double développement de la création et des détails du rôle de Sylla.

Mais à quoi bon ? qui s’occupe de pareille chose aujourd’hui ? qui s’amuse à chercher dans son souvenir, trente ans après qu’elle est éteinte, l’intonation avec laquelle un grand acteur disait tel vers, tel hémistiche, tel mot ? Qu’importe à M. Guizard, à M. Léon Faucher, au président de la République, de quelle façon Talma répondait à Lamas, envoyé par le peuple romain pour savoir de Sylla le chiffre des condamnés, et lui demandant :

Combien en proscris-tu Sylla ?


qu’importe à ces messieurs de savoir de quelle façon Talma répondait :

Combien en proscris-tu Sylla ?Je ne sais pas !

C’est tout au plus s’ils se souviennent de l’intonation avec laquelle M. le général Cavaignac a prononcé ces quatre mêmes mots, quand on lui a demandé combien il envoyait sans jugement de transportés hors de France.

Et cependant, à l’heure où j’écris, il n’y a que deux ans que le dictateur de 1848 a prononcé ces quatre mots qui méritent bien de tenir dans l’histoire leur place près de ceux de Sylla.

Mais, après avoir été tour à tour simple, grand, magnifique, où Talma était réellement sublime, c’était dans la scène d’abdication.

Cette abdication de Sylla rappelait, il est vrai, celle de Fontainebleau, et, nous le répétons, nous ne doutons pas que, sur la partie vulgaire du public, cette ressemblance entre le dictateur moderne et le dictateur antique n’ait produit un immense effet. C’était l’avis aussi de la censure de 1821, qui coupait ces vers, dans lesquels elle croyait reconnaître tour à tour Bonaparte, premier consul, et Napoléon, empereur.

Voici pour Bonaparte :

… C’était trop pour moi des lauriers de la guerre ;
Je voulais une gloire et plus rare et plus chère.