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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/63

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Rome, en proie aux fureurs des partis triomphants,
Mourante sous les coups de ses propres enfants,
Invoquait à la fois mon bras et mon génie :
Je me fis dictateur, je sauvai la patrie !

Voici pour Napoléon :

J’ai gouverné le monde à mes ordres soumis,
Et j’impose silence à tous mes ennemis !
Leur haine ne saurait atteindre ma mémoire,
J’ai mis entre eux et moi l’abîme de ma gloire.

Quand on relit, au bout de dix ans, au bout de vingt ans, au bout de trente ans, les vers qu’a défendus la censure, ou même les pièces qu’elle a supprimées, on est toujours émerveillé de la stupidité des gouvernements, qui, aussitôt qu’une révolution a tranché les sept têtes de cette hydre littéraire, s’empresse de les ramasser et de les recoudre au tronc qui faisait semblant d’être mort, mais qui se gardait bien de mourir. Comme si la censure avait jamais empêché un des ouvrages qu’elle a proscrits d’être joué ! comme si la censure avait pu étouffer Tartufe, Mahomet, le Mariage de Figaro, Charles IX, Pinto, Marion Delorme et Antony ! Non, quand une de ces œuvres vivaces est repoussée du théâtre où sa place est marquée, elle attend, debout et calme, que ceux qui l’ont prescrite tombent ou meurent, et, quand ils sont tombés ou morts, quand elle voit ses persécuteurs rouler du trône ou descendre dans la tombe, elle, la fille immortelle et sereine du génie, elle entre, souveraine et géante, dans l’enceinte d’où l’avaient proscrite les nains qui ont disparu, et repousse du pied leur couronne oubliée, qu’elle trouve trop étroite pour sa tête.

La toile tomba au milieu d’immenses bravos.

J’étais étourdi, ébloui, fasciné.

Adolphe me proposa d’aller remercier Talma dans sa loge. Je le suivis à travers cet inextricable dédale de corridors qui se tordent dans l’intérieur du Théâtre-Français, et qui au-