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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/69

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

M. Lefèvre avait demandé où j’étais ; ces messieurs lui avaient répondu qu’ils l’ignoraient, et tout s’était borné là.

Je tirai ma besogne de mon pupitre, et je me mis à travailler.

Quelques instants après, M. Lefèvre parut.

Il alla au maître clerc, lui donna quelques instructions, et rentra dans son cabinet, sans même avoir paru remarquer ma présence, ce qui me fit croire qu’il avait fort remarqué mon absence.

L’heure du dîner arriva. Nous nous mîmes à table ; tout se passa comme d’habitude ; seulement, après le dîner, comme je me levais pour me retirer :

— Monsieur Dumas, me dit M. Lefèvre, je voudrais causer un instant avec vous.

Je compris que l’orage approchait, et je résolus de tenir ferme.

— Volontiers, monsieur, répondis-je.

Le maître clerc et le saute-ruisseau, qui partageaient avec moi la table du patron, se retirèrent discrètement.

M. Lefèvre m’indiqua une chaise en face de son fauteuil, de l’autre côté de la cheminée.

Je m’assis.

Alors M. Lefèvre releva la tête comme un cheval fait sous la martingale, mouvement qui lui était habituel, croisa sa jambe droite sur sa jambe gauche, secoua cette jambe jusqu’à ce que la pantoufle tombât, prit sa tabatière d’or, y huma une pincée de poudre, la respira majestueusement, puis, avec une voix d’autant plus menaçante qu’elle avait une certaine douceur :

— Monsieur Dumas, dit-il en grattant son pied droit avec sa main gauche, ce qui était son habitude la plus chérie, monsieur Dumas, avez-vous quelques idées de mécanique ? — Non, en théorie, monsieur ; oui, en pratique.

— Eh bien, cela suffira pour que vous compreniez ma démonstration.

— J’écoute, monsieur.

— Monsieur Dumas, pour qu’une machine, quelle qu’elle