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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/85

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je pris ma casquette, et je suivis le garçon d’écurie, qui avait déclaré à ma mère, fort surprise, qu’il avait ordre de ne pas revenir sans moi.

Cartier, chez lequel était l’Anglais qui me faisait demander, était un vieil ami de notre famille, aubergiste à la Boule d’or, hôtel situé à l’extrémité est de la ville, sur la route de Soissons. C’était chez lui qu’on prenait les diligences. Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que l’Anglais qui me faisait demander fût chez Lui ; ce qu’il y avait d’étonnant, c’est que cet Anglais me fit demander.

Lorsque je parus dans la cuisine, le père Cartier, qui se chauffait, selon son habitude, au coin du feu, s’approcha de moi.

— Viens vite, me dit-il ; je crois que je vais te faire faire une bonne affaire.

— Ah ! ma foi, elle sera la bienvenue, répondis-je ; jamais je n’ai eu tant besoin de faire une bonne affaire.

— Alors, suis-moi.

Et Cartier, marchant devant moi, me conduisit à un petit salon où dînaient les voyageurs.

Au moment où nous ouvrîmes la porte, nous entendîmes une voix qui disait avec un accent anglais fortement prononcé :

— Prenez garde ! master le hôte, le dog ne pas connaître moi, et sauver lui.

— Ne craignez rien, milord, répondit Cartier, j’amène son maître.

Pour tout aubergiste, un Anglais a droit au titre de milord ; aussi n’épargne-t-on pas ce titre ; il est vrai qu’en général on le fait payer.

— Ah ! entrez, sir, dit l’Anglais, essayant de se soulever en appuyant les deux bras sur les bras de son fauteuil.

Il n’y put réussir.

Ce que voyant, je m’empressai de lui dire :

— Ne vous dérangez pas, monsieur, je vous prie.

— Oh ! je ne dérange pas moâ, dit l’Anglais retombant dans son fauteuil avec un grand soupir.