Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le temps qu’il mit à se soulever et à retomber dans son fauteuil avec ce mouvement d’élévation et d’affaissement dont peut donner l’idée une omelette soufflée qui crève, fut employé par moi à jeter vivement les yeux sur lui et autour de lui.

C’était un homme de quarante à quarante-cinq ans, d’un blond rouge, avec les cheveux coupés en brosse et les favoris taillés en collier ; il avait un habit bleu à boutons de métal, un gilet chamois, une culotte de casimir gris, avec des guêtres de pareille couleur, comme en portent les grooms.

Il était assis devant la table où il venait de dîner. Cette table offrait les débris d’un repas de six personnes.

Il pouvait peser de trois cents à trois cent cinquante livres.

À terre, assis mélancoliquement le derrière sur le parquet, était Pyrame ; autour de Pyrame gisaient, étincelantes, dix ou douze assiettes récurées avec cette propreté que je lui connaissais à l’endroit des assiettes sales.

Cependant, sur une dernière, restaient quelques reliefs non achevés.

C’étaient ces reliefs non achevés qui devaient être la cause de la mélancolie de Pyrame.

— Venez parler à moâ, monsieur, s’il vos plaît, me dit l’Anglais.

Je m’approchai. Pyrame me reconnut, bâilla en signe de reconnaissance, se coucha sur son ventre pour se rapprocher de moi autant que possible, allongeant ses pattes sur le parquet, et son museau sur ses pattes.

— Me voici, monsieur, dis-je à l’Anglais.

— Bien ! fit-il.

Puis, après une pause :

— Le dog à vos, il plaît à moâ, dit-il.

— C’est bien de l’honneur pour lui, monsieur.

— Et l’on a dit à moâ que vos consentiriez peut-être à le vendre à moâ, si je vos en priais fort bien.

— Il ne faudra pas m’en prier fort bien, monsieur ; je cherchais à m’en défaire, et, du moment où il vous fait plaisir…

— Oh ! oui, il fait plaisir à moâ !