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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/92

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Elle avait tant et si bien emprunté sur nos trente arpents de terre, loués à M. Gilbert de Soucy, et sur la maison que venait enfin de nous laisser M. Harlay, que la valeur de ces trente arpents et de la maison se trouvait à peu près absorbée par les emprunts. — Il fallait se décider à tout vendre.

Les trente arpents furent vendus à la criée, et rapportèrent trente-trois mille francs.

La maison fut vendue, à l’amiable, douze mille francs à ce même M. Picot qui m’avait fait faire mes premières armes à la chasse.

En tout quarante-cinq mille francs.

Nos dettes éteintes, les frais payés, il restait à ma mère deux cent cinquante-trois francs.

Comme quelques lecteurs optimistes pourraient croire que c’était de rente, je me hâte de dire que c’était de capital.

Il ne faut pas demander si ma pauvre mère fut triste en voyant un pareil résultat.

Jamais, nous ne nous étions, en réalité, trouvés si près de la misère.

Ma mère tomba dans un découragement profond.

Depuis la mort de mon père, nous avions constamment marché vers l’épuisement successif de toutes nos ressources.

La lutte avait été longue : de 1806 à 1823 ! Elle avait duré dix-sept ans ; mais, enfin, nous étions vaincus.

Quant à moi, je ne m’étais jamais senti si gai et si confiant.

Je ne sais ce que j’ai fait de bon, soit dans ce monde, soit dans les autres mondes où j’ai vécu avant de vivre dans celui-ci, mais Dieu a pour moi des faveurs spéciales, et, dans toutes les situations graves où je me suis trouvé, il est venu visiblement à mon secours.

Aussi, mon Dieu ! je confesse bien hautement et bien humblement votre nom en face des croyants comme en face des impies, et je n’ai pas même, en faisant cela, le mérite de la foi, j’ai simplement celui de la vérité.

Car, si vous m’étiez apparu, à cette époque où je vous invoquais, ô mon Dieu ! et si vous m’aviez demandé : « Enfant, dis hardiment ce que tu veux, je n’eusse jamais osé implorer de