Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

C’était chez Camberlin que mon père et M. Deviolaine venaient vider leurs défis d’adresse au jeu, comme, sur un autre tapis vert, ils vidaient leurs défis d’adresse à la chasse.

C’était chez Camberlin, enfin, que, grâce à ces antécédents, j’avais pu, à peu près gratis, quand je perdais, commencer mon éducation de Philibert aîné, sous trois maîtres différents, qui avaient fini par me conduire à une force supérieure.

Ces trois maîtres étaient Cartier, avec lequel j’allais vider une vieille querelle ; — Camusat, ce neveu d’Hiraux, qui rhabillait son oncle à la Râpée, quand on le lui expédiait de Villers-Cotterets en caleçon et en chemise ; — et un nommé Gaillard, charmant garçon, joueur de première force à tous les jeux, qui, à ma grande satisfaction, avait remplacé, au dépôt de mendicité, M. Miaud, mon ancien rival.

J’étais donc devenu d’une force très-supérieure à celle de Cartier ; mais, comme il n’en voulait pas convenir, il refusait invariablement les six points qu’invariablement je lui offrais avant de commencer la partie.

Au moment où nous essayions nos queues sur le billard, Gondon entra.

— Que prenez-vous, Gondon ? lui dit Cartier. C’est Dumas qui paye.

— Je prends de l’absinthe ; j’ai envie de bien dîner aujourd’hui.

— Ma foi, moi aussi, dit Cartier. Et toi ?

— Moi, vous savez que j’ai fait un vœu, c’est de ne prendre ni liqueur ni café.

À quel saint et à quelle occasion ai-je fait ce vœu ? Je n’en sais rien ; mais, ce que je sais, c’est que je l’ai religieusement tenu.

— Nous disons donc deux petits verres d’absinthe, reprit Cartier continuant de goguenarder ; tu en as pour tes six sous, garçon. Donne ton acquit.

En province, du moins à Villers-Cotterets, le petit verre d’absinthe coûtait trois sous.

— Mon cher Gondon, dis-je à mon tour, je ne ferai pas