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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/14

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Pour toi, la mer s’est-elle ouverte ?
Dors-tu sur un lit d’algues vertes ?
Ou, par un destin plus fatal,
Sens-tu tes pesantes journées
Rouler sur ton front des années
Qu’ignore le pays natal ?

Et, pourtant, te dictant ta route,
Un roi t’a tracé ton chemin ;
Mais du ciel le pouvoir, sans doute,
A heurté le pouvoir humain.
Et, tandis qu’à leur ignorance
Du retour sourit l’espérance,
Dieu, sur les tables de la loi,
À deux différentes tempêtes
A déjà voué les deux têtes
Du navigateur et du roi !…

J’avais suivi avec la plus grande attention sur le visage de mes auditeurs l’effet produit. M. Parseval clignait les paupières et tournait brusquement ses pouces l’un autour de l’autre ; M. Pieyre écarquillait les yeux, et souriait, la bouche toute grande ouverte. Le papa Bichet, aussi curieux que moi de l’impression reçue par ses deux amis, voyant que cette impression était bonne, branlait joyeusement la tête en répétant tout bas :

— Comme Piron ! comme Piron !

Quand j’eus fini, les applaudissements éclatèrent, à la suite desquels toute sorte d’encouragements me furent donnés.

Je ne savais plus où j’en étais. Figurez-vous Ovide exilé chez les Thraces, trouvant un soleil plus beau que celui de Rome, et, sur des tapis de fleurs plus odorantes que celles de Pæstum, sous des ombrages plus frais que ceux de Tibur, des applaudissements pour ses Tristes et ses Métamorphoses.

Je remerciai le dieu qui, sans le vouloir, m’avait fait ce repos.

On verra qu’il ne devait pas durer longtemps.