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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/142

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ble des représentations tragiques, à ne donner pour aide aux principaux acteurs que des sujets réprouvés par le public ; bien plus encore, pour rendre toute représentation tragique

désormais impossible, anticipant sur l’époque où les deux premiers sujets tragiques, mademoiselle Duchesnois et M. Lafond, doivent prendre leur retraite, ils prétendent les contraindre à subir, sous le nom de congé, un exil d’un an, pendant la durée duquel on se flatte de consommer l’absolue destruction du théâtre de Racine, Corneille et Voltaire.

» Sire, les agents sur lesquels votre confiance se repose des soins de surveiller et de diriger le théâtre répondent-ils bien à vos intentions protectrices ? Est-ce pour favoriser l’usurpation du mélodrame, est-ce pour lui livrer la scène tragique que les clefs leur en ont été remises ? Les fonds que vôtre libéralité met à leur disposition, pour être employés dans l’intérêt du bon goût, doivent-ils être prodigués dans l’intérêt de leur goût particulier, qui tend à asservir le domaine de ces grands hommes à la Melpomène des boulevards, et à réduire leur art sublime à la condition d’un vil métier ?

» Persuadés, sire, que la gloire de votre règne est intéressée à ce qu’aucune des sources de la gloire française ne s’altère, nous croyons devoir appeler votre attention sur la dégradation dont le premier de nos théâtres est menacé.

» Sire, le mal est grand déjà ! encore quelques mois, et il sera sans remède ; encore quelques mois, et, fermé tout à fait aux ouvrages qui faisaient les délices de la plus polie des cours, de la nation la plus éclairée, le théâtre fondé par Louis le Grand sera tombé au-dessous des tréteaux les plus abjects, ou plutôt le Théâtre-Français aura cessé d’exister.

« Signé : A.-V. Arnault, N. Lemercier, Viennet, Jouy,
Andrieux, Jay, O. Leroy.
 »

Cette curieuse pièce était flanquée d’une autre pièce non moins curieuse ; — quand nous disons flanquée, nous aurions dû dire précédée. — La lettre de mademoiselle Duchesnois que nous allons reproduire en entier, comme nous avons fait de