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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/144

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

faire aucun reproche sous ce rapport, puisque, depuis trois années, nous avons laissé établir successivement, à grands frais, tous les ouvrages du nouveau genre ; il en est résulté que nos parts ont baissé de seize mille à sept mille francs, et que nous avons contracté, dans ce laps de temps, une dette que l’on porte à cent mille francs.

» Cependant, l’ancien répertoire et les ouvrages faits d’après les grands maîtres, Tartufe, Phèdre, Zaïre, Germanicus, Sylla, Pierre de Portugal, Marie Stuart, l’École des Vieillards, Blanche, le Roman, s’ils n’enrichissent plus le théâtre, continuent à faire l’argent de nos parts, et à subvenir aux dépenses inouïes de la mise en scène des drames. Malgré la ruine de notre prospérité et l’augmentation de notre dette, j’aurais gardé le silence, si l’on n’avait en même temps répandu le bruit que l’on allait dissoudre notre pacte social, pour nous mettre en régie, et élever à notre place un prétendu théâtre romantique. Ces bruits ont pris assez de consistance pour être répétés par plusieurs journaux, et l’on a remarqué que les défenseurs habituels de M. le commissaire royal, au lieu de les démentir, se sont efforcés de montrer les avantages d’un projet aussi ridicule.

» Les acteurs tragiques, qui, depuis l’arrivée de M. Taylor, avaient été l’objet d’une animadversion dont ils n’ont deviné la cause que dans ces derniers temps, furent attaqués dans ces mêmes journaux avec un acharnement sans exemple, avec ce refrain de circonstance : Le public ne veut plus de tragédies. Sans doute la tragédie ne fait plus les recettes énormes des beaux temps de Talma et des quinze premières années de ma carrière théâtrale ; mais, sans parler de son importance et de sa nécessité, on peut s’assurer par les recettes — non par celles que l’on tient de M. le commissaire royal, mais par les recettes véritables, consignées sur le registre des pauvres, que je fais relever en ce moment pour les publier, — que la tragédie reprendrait sa prospérité, si l’administration lui accordait la protection qu’elle lui doit, au lieu de persécuter les acteurs et les auteurs qui la soutiennent encore.