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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/166

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Voici les passages que signalait particulièrement l’acte d’accusation :

« Figurez-vous un joli mouton blanc, peigné, frisé, lavé chaque matin ; les yeux à fleur de tête, les oreilles longues, les jambes en forme de fuseaux, la ganache — autrement dit la lèvre inférieure — lourde et pendante ; enfin, un vrai mouton de Berry. Il marche à la tête du troupeau ; il en est presque le monarque ; un pré immense lui sert de pâture, à lui et aux siens ; sur le nombre d’arpents que le pré contient, une certaine quantité lui est dévolue de plein droit. C’est là que pousse l’herbe la plus tendre ; aussi devient-il gras, c’est un plaisir ! Ce que c’est pourtant, que d’avoir un apanage !

« Notre mouton a nom Robin ; il répond par des salutations gracieuses aux compliments qu’on lui fait ; il montre les dents en signe de joie.

» Malgré son air de douceur, il est méchant quand il s’y met ; il donne dans l’occasion un coup de dent tout comme un autre. On m’a raconté qu’une brebis de ses parentes le mord chaque fois qu’elle le rencontre, parce qu’elle trouve qu’il ne gouverne pas assez despotiquement son troupeau, et — je vous le confie sous le sceau du secret — le pauvre Robin-Mouton est enragé !

» Ce n’est pas que sa rage soit apparente, au contraire, il cherche autant que possible à la dissimuler ; éprouve-t-il un accès, a-t-il besoin de satisfaire une mauvaise pensée, il a bien soin de regarder auparavant si personne ne l’observe ; car Mouton-Robin sait quel sort on destine aux animaux qui sont atteints de cette maladie ; il a peur des boulettes, Robin-Mouton !

» Et puis il sent sa faiblesse. Si encore il était un bélier, ah ! qu’il userait largement de ses deux cornes ! comme il nous ferait valoir ses prérogatives sur la gent moutonnière ! qui sait ? peut-être même serait-il capable de déclarer la guerre au troupeau voisin. Mais, hélas ! il est d’une famille qui n’aime pas beaucoup à se battre ; et, quelles que soient