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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/169

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

jeune duc de Reichstadt un exemplaire du poëme dont son père était le héros.

De même qu’on avait laissé mourir le père d’un cancer politique, comme disait Benjamin Constant, on était en train de laisser mourir le fils d’une maladie de poitrine. Une charmante danseuse et une belle archiduchesse étaient les deux étranges docteurs que l’Autriche avait chargés de suivre, sur le prince, les progrès d’une maladie qui, trois ans plus tard, devait en faire un souvenir historique.

Il va sans dire que Barthélemy fit un voyage inutile, qu’on ne lui permit point de pénétrer jusqu’au prince, et qu’il rapporta son poëme sans avoir pu le lui offrir.

Cette odyssée avait fourni à Barthélemy le sujet d’un nouveau poëme intitulé le Fils de l’Homme.

C’était ce poëme qui était déféré à la justice.

Barthélemy avait annoncé d’avance qu’il se défendrait en vers.

On comprend qu’une pareille annonce avait amené, dès huit heures du matin, l’encombrement de la salle de la police correctionnelle, où se jugeait le poétique procès.

Barthélemy tint parole.

Voici quelques vers de ce singulier plaidoyer, qui n’a pas de précédent dans les archives de la justice.

Messieurs, dit-il :

Voilà donc mon délit ! sur un faible poëme
La critique en simarre appelle l’anathème ;
Et ces vers, ennemis de la France et du roi,
Témoins accusateurs, se dressent contre moi !
Hélas ! durant les nuits dont la paix me conseille,
Quand je forçais mes yeux à soutenir la veille,
Et que seul, aux lueurs de deux mourants flambeaux,
De ce pénible écrit j’assemblais les lambeaux,
Qui m’eût dit que cette œuvre, en naissant étouffée,
D’un greffe criminel déplorable trophée,
Appellerait un jour sur ces bancs ennemis
Ma muse, vierge encor des arrêts de Thémis ?
Peut-être ai-je failli ; mais, crédule victime,