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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/170

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Moi-même ; j’ai bien pu m’aveugler sur mon crime,
Puisque des magistrats, vieux au métier des lois,
M’ont jugé non coupable une première fois.
Aussi, je l’avoûrai, la foudre inattendue,
Du haut du firmament à mes pieds descendue,
D’une moindre stupeur eût frappé mon esprit,
Que le soir si funeste à mon livre proscrit
Où d’un pouvoir jaloux les sombres émissaires
Se montraient en écharpe à mes pâles libraires,
Et, craignant d’ajourner leur gloire au lendemain,
Cherchaient le Fils de l’Homme, un mandat à la main.
Toutefois, je rends grâce au hasard tutélaire
Qui, sauvant un ami, de mes torts solidaire,
Sur moi seul de la loi suspend l’arrêt fatal.
Triste plus que moi-même, au rivage natal
Il attend aujourd’hui l’heure de  la justice.
S’il eût été présent, il serait mon complice.
Éternels compagnons dans les mêmes travaux,
Forts de notre union, frères et non rivaux,
Jusqu’ici, dans l’arène à nos forces permise,
Nos deux noms enlacés n’eurent qu’une devise,
Et jamais l’un de nous, reniant son appui,
N’eût voulu d’un laurier qui n’eût été qu’à lui.
Trois ans, on entendit notre voix populaire
Harceler les géants assis au ministère ;
Trois ans, sur les élus du conseil souverain
Nos bras ont agité le fouet alexandrin ;
Et jamais l’ennemi, froissé de nos victoires,
N’arrêta nos élans par des réquisitoires.
Mais, dès le jour vengeur où, captive longtemps,
La foudre du château gronda sur les titans,
Suspendant tout à coup ses longues philippiques,
Notre muse plus fière, osant des chants épiques,
Évoqua du milieu des sables africains
Les soldats hasardeux des temps républicains,
Et montra, réunis en faisceau militaire,
Les drapeaux lumineux du Thabor et du Caire ;
De nos cœurs citoyens là fut le dernier cri ;
Notre muse se tut, et, tandis que Méry
Allait, sous le soleil de la vieille Phocée,
Ressusciter un corps usé par la pensée,