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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/171

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

« J’osai, vers le Danube égarant mon essor,
» À la cour de Pyrrhus chercher le fils d’Hector. »
Je portais avec soin, dans mes humbles tablettes,
Ces dons qu’aux pieds des rois déposent les poëtes,
Et, poëte, j’allais pour redire à son fils
L’histoire d’un soldat, aux plaines de Memphis.
Voilà tout le complot d’un long pèlerinage.
Un pouvoir soupçonneux repoussa mon hommage,
Et, moi, loin d’un argus que rien n’avait fléchi,
Je repassai le Rhin, imprudemment franchi.

Voilà pour la défense du fait. — Après avoir défendu le fond, Barthélemy passait à la forme ; il se plaignait de cette science d’interprétation poussée si loin par les juges de tous les temps, il disait :

Pourtant, voilà mon crime ! Un songe, une élégie
Me condamne moi-même à mon apologie !
Partout, sur ce vélin, je frissonne de voir
Des vers séditieux soulignés d’un trait noir ;
Le doigt accusateur laisse partout sa trace,
Et je suis criminel jusque dans ma préface ;
Ah ! du moins, il fallait, moins prompt à me juger,
Pour me juger, tout lire et tout interroger ;
Il fallait, surmontant les ennuis de l’ouvrage,
Jusqu’au dernier feuillet forcer votre courage,
Et, traversant mon livre un scalpel à la main,
Avancer hardiment jusqu’au bout du chemin.
Certes, si comme vous on dépeçait un livre,
Combien peu d’écrivains seraient dignes de vivre !
Qu’on pourrait aisément trouver de noirs desseins
Jusque dans l’Évangile et les ouvrages saints !
Ma prose est toujours prête à disculper ma muse ;
La note me défend quand le texte m’accuse ;
D’un tissu régulier pourquoi rompre le fil ?
De quel droit venez-vous, annotateur subtil,
Dédaignant mon histoire, attaquer mon poëme,
Prendre comme mon tout la moitié de moi-même,
Et, fort de ma pensée arrêtée au milieu,
Diviser contre moi l’indivisible aveu ?