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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/172

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Mais j’ose plus encor, fort de mon innocence,
Armé du texte seul, j’accepte la défense ;
Seulement, n’allez pas, envenimant mes vers,
D’un sens clair et précis extraire un sens pervers !
Gardez-vous de chercher, trop savant interprète,
Sous ma lucide phrase une énigme secrète !
Ainsi, quand vous lirez : « qu’à mes yeux éblouis,
» La gloire a dérobé les fils de saint Louis ;
» Qu’aveuglément soumis aux droits de la puissance,
» Je ne me doutais pas, dans mon adolescence,
» Que l’héritier des lis, exilé de Mittau,
» Régnait chez les Anglais dans un humble château,
» Et que, depuis vingt ans, sa bonté paternelle !
» Rédigeait pour son peuple une charte éternelle !
Lisez de bonne foi comme chacun me lit.
Pourquoi vous tourmenter à flairer un délit,
À tourner ma franchise en coupable ironie,
À voir un seul côté de mon double génie ?
Voulez-vous donc me lire aux lueurs du fanal
Dont la sainte Gazette escorte son journal,
Et, serrant vos deux mains à nuire intéressées,
Exprimer du poison en tordant mes pensées ?

Ce sont certes là des vers bien faits et d’un bien habile versificateur, si ce n’est d’un grand poëte. À Athènes, devant cet aréopage où plaidait Eschyle, vous eussiez été acquitté, monsieur Barthélemy ! Mais, que voulez-vous ! nous ne sommes pas des Athéniens, et nos juges ne sont point des archontes !

Le poëte n’en continua pas moins, quoiqu’il fût facile de lire, sur le visage refrogné des juges, le peu de sympathie qu’ils éprouvaient pour la défense de l’accusé.

C’est toujours Barthélemy qui parle :

Jusqu’ici, l’on m’a vu, d’un tranquille visage,
Conquérir pour ma cause un facile avantage.
J’ai vengé sans effort, dans mon livre semés,
Quelques vers, quelques mots par Thémis décimés.
Redoublons de courage : un grand effort nous reste ;
Abordons sans pâlir ce passage funeste,