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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/174

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

» Le destin qui te reste est encore assez beau ;
» Les rois ont grandement consolé ton jeune âge ;
» Le duché de Reichstadt est un riche apanage,
» Et tu pourras, un jour, colonel allemand,
» Conduire à la parade un noble régiment !
» Qu’à ce but désormais ton jeune cœur aspire ;
» Borne là tes désirs, ta gloire et ton empire.
» Des règnes imprévus ne gardons plus l’espoir,
» Ce qu’on vit une fois ne doit plus se revoir ! »

Non, poëte, ce que nous avions vu ne devait plus se revoir ; non, l’enfant fantôme que vous évoquiez de sa tombe anticipée, ne devait être, pour l’histoire, qu’un de ces pâles spectres qu’elle montre dans ses poétiques lointains, comme Astyanax et comme Britannicus ; non, nous ne devions plus revoir ce que nous avions vu ; mais l’avenir nous gardait un spectacle non moins extraordinaire, et qui confirme ce que me disait, en 1838, le docteur Schlegel :

— L’histoire, a été inventée pour nous prouver l’inutilité des exemples qu’elle donne.

Barthélemy, malgré son plaidoyer, et peut-être même à cause de son plaidoyer, fut donc condamné à trois mois de prison et à mille francs d’amende.

C’est ainsi que le gouvernement, qui successivement s’était aliéné le peuple par les procès scandaleux de Carbonneau, Pleignies et Tolleron ; l’armée, par les exécutions de Bories, Raoul, Goubin et Pommier ; la haute aristocratie militaire, par les assassinats de Brune, de Ramel, de Ney et de Mouton-Duverney ; la bourgeoisie, par la dissolution de la garde nationale, s’aliénait la race bien autrement dangereuse des poëtes, des journalistes et des hommes de lettres, par les jugements qui frappaient successivement Paul-Louis Courier, Cauchois-Lemaire, Magallon, Béranger, Fontan et Barthélemy.

Or, un gouvernement qui a contre lui le peuple, l’armée, la bourgeoisie et la littérature, est bien malade ; le gouvernement était donc déjà bien malade le 31 juillet 1829, jour où fut prononcée la condamnation de Barthélemy, puisque, un an après, jour pour jour, il était mort.