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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/191

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Où, comment et dans quelles conditions ? Ouvrons le volume des Feuilles d’automne, et le poète va nous le dire lui-même dès la première page :

Ce siècle avait deux ans ; Rome remplaçait Sparte ;
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul, trop gêné par le droit,
Le front de l’empereur brisait le masque étroit.
Alors, dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit, d’un sang breton et lorrain à la fois,
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile, qu’il fut, ainsi qu’une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou, ployé comme un frêle roseau,
Fit faire, en même temps, sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre,
C’est moi…

Cet enfant était si faible, en effet, que, quinze mois après sa naissance, il n’était pas encore parvenu à redresser sur ses épaules sa tête, qui, comme si elle eût déjà contenu toutes les pensées dont elle ne renfermait que le germe, s’obstinait à tomber sur sa poitrine.

Aussi, le poëte continue-t-il :

Je vous dirai peut-être, quelque jour,
Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour,
Prodigués pour ma vie, en naissant condamnée,
M’ont fait deux fois le fils de ma mère obstinée.

Cette mère, au sang breton, qui, obstinée à la fois comme une Bretonne et comme une mère, disputait et arrachait son enfant à la mort, était fille d’un riche armateur de Nantes, petite-fille d’un des chefs de la grande bourgeoisie de cette terre d’opposition ; de plus, cousine germaine de Constantin-François, comte de Chassebœuf, lequel quitta ce grand nom