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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/208

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

C’était sous la protection de cette escorte que se rangeaient les voyageurs qui avaient besoin à Madrid, comme se mettent sous la protection des caravanes les pèlerins de la Mecque.

Néanmoins, malgré les précautions prises, malgré l’escorte, malgré les deux ou trois mille hommes qui la composaient, le trésor et les pèlerins n’étaient pas toujours en sûreté ; le précédent convoi avait été attaqué, pillé, égorgé à Salinas, et, cela, avec d’effroyables circonstances. Le général Lejeune a fait, autant que je puis me le rappeler, de cette attaque un tableau qui fut exposé au Salon de 1824 ou 1825.

Mais n’importe, là, cependant, était la plus grande sécurité. On attendit donc un mois à peu près le convoi à Bayonne.

Il arriva vers la fin d’avril.

Pendant ce temps, madame Hugo avait eu le loisir de faire ses préparatifs : elle avait acheté une voiture, la seule, d’ailleurs, qui fût à vendre à Bayonne.

C’était un de ces grands bahuts que l’on ne retrouverait aujourd’hui que dans les dessins de Piranèse, et peut-être aussi, par hasard, à la suite de quelque gala pontifical, dans les rues de Rome.

Qu’on se figure une caisse énorme, suspendue entre deux brancards, sur de colossales soupentes, avec des marchepieds soudés à ces brancards ; de sorte que l’on commençait par monter sur le brancard, et que l’on finissait par descendre dans la voiture.

Cette voiture offrait, du reste, cet avantage, qu’à la rigueur elle pouvait se convertir en forteresse, les parois étant à l’épreuve de la balle, et ne pouvant être démolies que par la mitraille ou les boulets.

Au moment du départ, de graves contestations s’élevèrent sur le pas à prendre dans la marche. Il y avait peut-être à Bayonne trois cents voitures et cinq ou six cents voyageurs attendant, comme madame Hugo, la rassurante escorte ; ce n’était pas chose facile que de faire prévaloir l’étiquette dans une pareille foule, composée, d’ailleurs, presque entièrement de femmes ou d’hommes attachés aux premières fonctions de l’État, ou appartenant aux plus vieilles familles d’Espagne.