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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/213

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

laissé leurs membres, et d’où ils avaient emporté cette ménagerie.

À Mondragon, c’est-à-dire à deux ou trois lieues avant Salinas, on avait, grâce au dévouement des soldats, échappé à un danger assez grave. Quand je dis on avait, je veux parler de madame Hugo et de ses trois enfants.

Mais nous devons faire précéder le récit de cet incident d’une petite explication.

Les soldats recevaient leurs vivres tous les trois jours ; mais, selon leur louable habitude, ils mangeaient en vingt-quatre heures la ration de ces trois jours, ou jetaient les vivres qui les gênaient ; de sorte que l’on jeûnait, en général, de la tête à la queue du convoi, un jour au moins sur trois.

Ce jeûne était d’autant plus pénible à supporter, — surtout à l’endroit des liquides, qui ne se jetaient pas, mais qui s’absorbaient presque toujours prématurément, — que l’on voyageait dans des plaines arides, sous un soleil de plomb, par une atmosphère étouffante.

On partait au point du jour, afin d’avoir un peu de fraîcheur ; on s’arrêtait à midi ; on buvait et on mangeait ; puis on se remettait en route jusqu’au soir.

Les soldats campaient autour des fourgons ; les chefs et les voyageurs logeaient dans les villages ou dans les villes par billets de logement ; madame Hugo presque toujours était logée chez l’alcade.

Là, on lui faisait, tous les soirs, la distribution de vivres ; c’étaient les rations de campagne comme on les eut données à son mari, c’est-à-dire vingt rations.

Or, comme ces rations étaient très-abondantes, c’étaient de véritables montagnes de pain, de viande et d’outres pleines de vin que l’on entassait devant elle tous les soirs.

Alors, s’avançaient les soldats qui marchaient à droite et à gauche de sa voiture, sur toute la longueur des six mules et de l’immense carrosse, — quarante hommes à peu près.

Ces quarante hommes étaient des grenadiers hollandais. Les armées françaises, à cette époque, comme les légions romai-