Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
212
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le duc de Cotadilla, qui était fort galant malgré ses soixante ans, et qui caracolait toute la journée à la portière de madame Hugo, y joignit quelques bouteilles de rhum qui firent, de cette distribution, une véritable solennité.

Au bout de douze ou quinze jours de voyage, on arriva à Burgos. Souvent, depuis Bayonne, on avait eu d’assez vives alertes ; mais bientôt on avait reconnu que ceux que l’on prenait pour des guérilleros n’étaient que de simples muletiers réunis en troupes pour leur propre sûreté. Au reste, la méprise était facile : les muletiers étaient armés à peu près comme des partisans, et il fallait les voir de bien près pour distinguer, à travers la poussière soulevée autour d’eux, qu’ils étaient montés sur des mules, et non sur des chevaux.

Burgos était marqué dans l’itinéraire pour une halte de trois ou quatre jours. Madame Hugo profita de ces trois ou quatre jours pour faire voir à ses enfants la cathédrale, cette merveille d’architecture gothique, la porte de Charles-Quint et le tombeau du Cid.

De ce tombeau du Cid, les soldats avaient fait une cible à la carabine !

L’enfant quitta Burgos ébloui, haletant, émerveillé. Si jeune qu’il fût, il avait déjà l’ardente admiration des chefs-d’œuvre de l’art architectural, et la cathédrale de Burgos, avec ses soixante ou quatre-vingts clochetons, est un véritable chef-d’œuvre de ce genre.

Par une fatalité étrange, le général Hugo, chargé en 1813, de la retraite d’Espagne, renversa trois de ces clochetons en faisant sauter la citadelle de la ville de Burgos, dont il fut le dernier gouverneur.

Plus on avançait, plus les traces de la destruction devenaient fréquentes. Après Burgos, on s’arrêta à un village qui avait été Celadas ; il était ruiné de fond en comble ; puis, sur ses ruines, comme si l’on avait eu peur qu’il n’en revint, le feu avait été artistement promené.

Rien de plus triste que ce village brûlé par le feu, au milieu de ces plaines brûlées par le soleil.

Quelques pans de muraille restaient debout, croulants et