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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/217

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

le lendemain, l’enfant n’y pensait plus, et, comme Kléber après la prise d’Alexandrie, était tout prêt à assiéger une autre ville.

Jusque-là, au reste, rien de sérieux n’avait troublé la marche de la caravane. De temps en temps, la balle d’un guerillero embusqué venait se perdre dans l’épaisseur des panneaux d’une voiture ou brisait la glace de quelque portière ; le colonel Montfort envoyait une vingtaine de hussards fouiller les buissons du milieu desquels était parti le coup ; mais, chose toujours facile dans la portion du pays où l’on se trouvait alors, le coupable se laissait glisser au fond de quelque ravin, ou gagnait la gorge de quelque montagne, et tout était dit.

Un soir, cependant, l’alerte fut vive, et l’on crut, cette fois, avoir véritablement affaire à un ennemi sérieux.

On avait fait les deux tiers du trajet, à peu près, et l’on était arrivé à la petite ville de Valverde, agglomération de maisons sombres, aux murailles élevées et sans ouvertures, qui semble un nid de forteresses du temps de Louis XIII. Comme d’habitude, l’escorte avait établi son camp à l’entrée de la ville ; des sentinelles avaient été placées dans toutes les directions, et les voyageurs et les chefs avaient reçu leur billet de logement chez les principaux habitants.

Madame Hugo, comme d’habitude encore, était logée chez l’alcade.

En la quittant, le duc de Cotadilla lui avait dit :

— Prenez garde à vous, madame ; nous sommes au cœur de l’insurrection, et votre hôte a, non-seulement fort mauvaise réputation, mais encore fort mauvais visage.

Madame Hugo ne pouvait juger que du visage, et, sur ce point, elle était parfaitement de l’avis du duc de Cotadilla.

Au reste, intérieur de maison digne de la ville et en harmonie avec l’hôte : portes barrées de fer et doublées de tôle : vestibules austères et sombres comme des entrées de couvent ; grandes chambres aux murs nus, avec de la terre pour parquet au rez-de-chaussée, carrelées au premier étage ; pour tous meubles, des bancs de bois et des fauteuils de cuir.